Lecture entre les lignes d’une catastrophe annoncée par la réforme de la formation des enseignants ou comment traite-t-on les futurs éducateurs de demain ?
Je ne suis pas arrivé là par hasard. Issu d’une famille de profs motivés et engagés, je suis à mon tour devenu un prof, moi aussi motivé et engagé. J’ai obtenu le capes du temps de l’IUFM, j’étais stagiaire avec 6 heures en responsabilité et le reste du temps j’étais formé pour faire mon entrée dans le métier. Bien sûr j’ai râlé parfois à cause de cette formation dont certains cours me semblaient inutiles ou inappropriés. Mais finalement l’année suivante j’ai commencé ma carrière dans deux établissements avec des classes difficiles et j’étais armé. La formation reçue m’avait finalement donné des clefs, de la confiance et de la légitimité.
Au fil du temps, porté par des convictions profondes et réelles, j’ai voulu faire partager cette image de l’école en laquelle je crois, je croyais…et à mon tour, je me suis mis à former les futurs enseignants en tant que tuteur puis comme formateur d’abord puis à l’ESPE puis INSPE.
Jusqu’à aujourd’hui, nous avons fait de notre mieux, je crois, palliant sans cesse les déficits d’heures imposées par les réductions budgétaires mais l’expérience du terrain combinée avec des cours disciplinaires de didactique et de pédagogie me laissaient croire encore que les stagiaires possédaient l’essentiel des outils pour entrer dans le métier. Le début de carrière n’est pas toujours de tout repos : Oui les élèves ont changé, évoluent chaque année et il est urgent, non pas de baisser nos exigences, mais d’adapter nos formations. Quoique l’on fasse il est aujourd’hui impossible d’enseigner comme il y a vingt ans. Alors oui l’intention première de la réforme de la formation des enseignants de laisser une plus grande place à la professionnalisation me semblait bien séduisante, même si je ne néglige pas l’importance des apports scientifiques délivrés par les universités pour enseigner.
Mais lisons entre les lignes cette réforme du concours de recrutement…
De quelle professionnalisation parlons-nous ? Oui quelques heures supplémentaires sont sur les maquettes du Master affectées à l’accompagnement du futur stage mais de quel stage parlons-nous ? Et que devient vraiment la formation des futurs enseignants ?
Ce qu’il faut d’abord comprendre c’est que les stagiaires d’aujourd’hui sont privilégiés (oui, j’ose l’écrire) par rapport aux futurs candidats de 2022. Tout d’abord parce qu’aujourd’hui les stagiaires ont un statut de fonctionnaire stagiaire alternant (responsabilité, formation à parts égales de 50%). Par cela ils bénéficient d’un salaire de début de carrière à taux plein (sans être mirobolant il existe !) et ils peuvent donc aborder leur deuxième année de master avec la sécurité de pouvoir se loger et se nourrir. C’est aussi simple que cela. Maslow et sa pyramide ne nous dédiront pas, il est plus facile de travailler, et s’épanouir quand les besoins essentiels sont satisfaits.
Les « peut-être » futurs enseignants de 2022, eux seront contractuels pour 6 heures hebdomadaires. Enfin peut-être…tout dépendra du nombre d’implantations à 6 heures demandées par chaque académie. Bref il n’y aura pas de places pour tout le monde, et un entretien sélectif choisira les futurs chanceux qui auront le droit de servir de variable d’ajustement sur les services des établissements pour une rémunération d’environ 600 euros par mois. Accepteriez-vous de gagner cette somme pour aller assurer 6 heures de cours au fin fond de votre académie alors que votre formation universitaire est dispensée à 200km de là ?
Pour les moins chanceux, pas de postes en responsabilité et donc pas de salaire, juste le privilège d’aller observer d’autres enseignants dans leurs classe 6 heures durant de façon hebdomadaire avec de temps en temps la possibilité d’animer une heure de cours mais toujours en présence du tuteur (dont la question de la rémunération n’est pas tranchée…).
Parle-t-on toujours de professionnalisation pour cette réforme ?
Le reste du temps les futurs enseignants de vos enfants suivront des formations intensives, rédigeront un mémoire de recherche, apprendront les données scientifiques dont ils auront besoin pour enseigner, s’initieront aux gestes professionnels de leur futur métier et prépareront donc un concours pour lequel désormais il faut une année d’étude supplémentaire. Et cette année, il faudra la financer pour ceux qui n’auront pas été retenus pour les 6 heures en responsabilité, et ils seront nombreux lorsqu’on sait que dans certaines académies une moitié de postes de stagiaires a été prévue par rapport aux besoins réels. Que feront donc les autres candidats pour pouvoir se nourrir et assurer leurs charges de famille, car oui à 25 ans on a parfois des enfants ? Ils devront travailler en plus des observations de classe, du mémoire de recherche, des cours professionnels, des cours disciplinaires, de la préparation du concours …
Pas étonnant que depuis 1995, les effectifs des postulants au concours d’enseignants ont baissé de moitié dans certaines disciplines. Combien seront-ils demain ?
Nos élèves continuent d’avoir besoin d’enseignants et il y a fort à parier que ne seront plus recrutés que des contractuels sans formation. Au-delà de l’enjeu humain honteux pour l’avenir de nos jeunes, et en se plaçant d’un point de vue des performances cher à nos institutions, ce n’est certainement pas comme ça que les résultats des tests PISA s’amélioreront !
Quant à moi, ce n’est pas grave, à défaut de cautionner une réforme indigente et maltraitante pour nos futurs enseignants, je partirai retrouver mes élèves de collège. Mais je n’ai de cesse de décourager mon enfant, lycéen, qui pourtant se destinait à travailler pour cette école que j’aimais tant mais dont on est en train de faire disparaître les valeurs.
Un formateur d’enseignants indigné
Pour aller plus loin :
Un article de la fédérations des Sgen CFDT qui détaille le contenu de la réforme du concours de recrutement des enseignants.